« Je suis le livre errant, le livre sans auteur. J’écris avec l’aide du vent qui tourne mes pages, avec l’aide du sang pourpre des feuilles des arbres. Je suis l’errance, l’errance qui sait tout. En fait je n’écris pas, je me promène, mes deux cœurs en chaque main, comme des valises spirituelles. Les pays sont devenus si proches qu’il est plus difficile d’enjamber une flaque d’eau que de voyager jusqu’aux Indes. Mes pensées sont des Juifs qui se cachent. Le son de leurs violons est si pur qu’il fait peur aux modernes nuisances sonores.
Que vais-je écrire sur cette page blanche ? On ne sait pas quand l’âme vous force à prendre la plume. C’est une sorte d’esclavagisme spirituel. D’ailleurs pour qui écrire, et qu’écrire puisque l’écriture a déjà tout écrit ? L’admirateur et l’admiré sont morts. Il ne reste plus que quelques branches qui jonchent la chaussée et regardent la vie marcher pieds nus. Je ne suis pas un écrivain, juste le secrétaire de Dieu qui dicta sa pensée. Il sait que je n’ai pas la foi, c’est pour cela que je lui conviens. Que lui importe que je sois inconnu. Il sait qu’une bouche récitera mes poèmes après ma mort.
Le ciel ne s’est pas rasé ce matin. Sa barbe blanche est clairsemée de gris. Je me coupe en épluchant une pomme de terre. Le sang coule le long de mon bras comme un vieux vin éventé. Moi, je suis une antique bouteille de chair oubliée.
Pour mon esprit un grain de sable est plus émouvant qu’un musée. En vérité, je ne m’appartiens pas. Ni mon intelligence ni mes pas ne sont à moi. Le seul don que je mérite, c’est la pensée. Dans une vieille brocante, j’ai trouvé un recueil des poèmes de Rimbaud pour un euro. C’est beau qu’un livre vaille moins qu’une pile électrique, car c’est lui pourtant qui éclaire le monde. »
Jean-Marie Kerwich – « Le livre errant »
Image : Pinterest
joliment dit et tellement vrai 🙂
Merci de partager ce si joli texte
Alors éclairons le monde de nos lucioles…