voici le texte original de ma nouvelle présentée cet été
à un concours littéraire, avant les suppressions regrettables que j’y ai apportées..
Un petit bout d’azur pour horizon, niché entre des immeubles ardoises et sans mystère, un vieil homme se réchauffe dans le silence bruyant de la ville, enraciné derrière les volets clos, sous les pas chancelants de l’humanité, à chaque coin de rue et au pied des réverbères cerbères.
L’été est là, embellissant Paris d’un manteau fleuri d’or.
Sur un banc solitaire, dans un conciliabule généreux, au-delà de l’érosion d’une vie, les pigeons tenaillés par la gourmandise et l’habitude équilibrent le quotidien de ce pèlerin aux cheveux de neige. Dans la force de ses rides, dans son sourire arrondi par le lichen argenté habillant ses lèvres fines, dans ses mains frêles et compatissantes, dans le chaos ensoleillé de ses yeux océaniques, tout n’est qu’harmonie et tristesse.
Malgré les brouillards, les pluies et les tempêtes qui ont parfumés son existence, l’amour et le manque résonnent en chœur dans la clarté de ses nuits abyssales. Dans l’exploit de son ordinaire tombé en ruine, au fil des ponts de feu traversés sur un fil insulaire, il a forgé avec gratitude sa carapace de douceur sur les bords de Seine, d’ondes tentaculaires en vagues universelles.
Dans sa maison cartonnée de souvenirs rapiécés, il offre chaque soir les perles de son âme au bitume assoiffé de passé. Quelques photos jaunies, une bague de fiançailles ciselée par les plaies de son cœur et un chapeau de velours noir chétif gravent ses souvenirs plus intensément à chaque regard posé sur eux, le réconfortant dans sa foi apaisante en l’amour inconditionnel et en l’espoir cicatrisant.
Mais ce soir, la douleur tapie au plus profond de son être s’est abandonnée au rythme des flonflons désaccordés d’un orchestre dans le vent, qui interprète avec maladresse « Que reste-t-il de nos amours ? », de l’autre côté des châtaigniers, le plongeant dans le vertige d’une nuit de 1944 où l’odeur d’une chevelure alezan en cascade parfumée de glycine adoucissait ses doigts torturés.
« Que reste-t-il de nos amours
Que reste-t-il de ces beaux jours
Une photo, vieille photo
De ma jeunesse
Que reste-t-il des billets doux
Des mois d’avril, des rendez-vous
Un souvenir qui me poursuit
Sans cesse
Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants
Que reste-t-il de tout cela
Dites-le-moi… »
Ils s’étaient reconnus rue de l’Essentiel où le printemps gisait sous un obus allemand. Elle s’était glissée près de lui, rampant entre les corps disloqués et avait essuyé d’un sourire immaculé toutes ses larmes de sang.
Après quelques semaines de convalescence allongé face au soleil de son regard caramel, Judith et Gabriel se retrouvaient dans une chambre perchée sous les toits de Montmartre et goûtaient à l’attraction des âmes. Son visage diaphane entre ses mains, il caressait ses joues rebondies et croquait avec appétit ses lèvres charnues, aussi douces que les pétales d’une rose trémière – savourant au diapason chaque note de son violoncelle passionné, loin des clameurs désespérées du monde.
Puis ils aménagèrent dans un petit appartement, avec vue sur un moulin vendangeur.
Qu’elle était belle dans sa robe de lune quand ils s’enivraient de leurs baisers sans sommeil !
*
14 juillet 1993, au clair de minuit, sous un feu d’artifices aux déflagrations malheureuses, son esprit s’éparpille telle une fleur perdue dans un jardin de rêve où les couleurs des émotions reviennent en boomerang, comme celles des lampions romantiques en tenue légère d’un bal populaire d’après-guerre.
Puis réfugiés dans les notes complices d’une contrebasse impétueuse, tous les nuages d’été et les couvre-feux sont soufflés en un mirage miraculeux, d’une mémoire éclatante, feuilletant les étoiles comme les pages du passé accrochées à la butte ; emportant à jamais les bourdonnements de la peur qui claquaient nuit et jour, balayant les avenues et les ruelles de rafales miliciennes en uniforme.
Pris d’une folle envie de valser, le soldat fatigué se lève et enlace sa belle de brume dans une partition énergisante, comme l’étoile qu’elle portait sur le coeur, greffée en elle comme une constellation fraternelle et altruiste.
Ses chaussures trouées crissent dans la chaleur de la fête.
Sa tête tournoie à en perdre l’équilibre dans un battement amoureux infini.
Puis son cœur se serre une dernière fois dans un éblouissement serein et s’éteint doucement dans les murmures divins d’un accordéon diatonique fredonnant encore la mélancolie de Charles Trenet.
« Ce soir c’est une chanson d’automne
Dans la maison qui frissonne
Et je pense aux jours lointains… »
*
Dans un halo aérien, deux âmes de cœur se rapprochent, se frôlent, s’embrassent des yeux puis s’entrelacent comme les racines d’un arbre aux pouvoirs sacrés, main dans la main à jamais.
– « Mon amour, je t’ai espéré si longtemps. Où étais-tu ?
– Je t’attendais ici, dans le souffle chaud de ta confiance, dans la bienveillance lumineuse de notre amour.
– Tu m’as tellement manquée ma bien-aimée.
– Pardonne-moi mon chéri. Je ne suis pas venue, parce qu’une moto en blouson de cuir m’a renversée chemin de La Liberté ! J’accourais vers toi en suivant les vibrations de notre bonheur mais…
– Mais tu es près de moi maintenant et je suis le plus heureux des hommes. Je t’aime comme au premier jour, mes bras n’ont désiré que toi et se languissaient de te serrer à nouveau contre mon cœur !
– Respirons cette nouvelle vie qui s’offre à nous comme le plus précieux des présents !
– Telle une promesse d’absolu à savourer éternellement ! »
*
Mes parents se chérissent depuis toujours et bien au-delà.
L’un des fruits de leur amour, je suis Amélina, née et réincarnée le 8 mai 2025.
Texte : MOONATH © ND Tableaux de Leonid Afremov
Que c’est beau je sais je ne me renouvelle pas trop dans mes commentaires mais tout est si parfait qu’ajouter d’autre? J’aime es ce suffisant? (sourire)
Merci Roberte pour votre enthousiasme généreux… douce soirée…
Très touchant Moonath, merci 😊
c’est magnifique